mardi 3 mars 2009

Tiramisu et vieille dentelle...

Elle avait l'air de survoler un peu tout, comme si rien n'avait vraiment d'importance, comme si aller au bout des choses lui demandait un effort trop violent. Elle devait nous parler d'un événement, d'une chose dont elle était fière, que ce soit d'avoir fabriqué un vase en terre glaise de ses blanches mains ou d'avoir mené un trekking au Népal seule dans des conditions difficiles, il fallait qu'elle partage avec nous un épisode rempli de fierté.

C'était un exercice.

Elle avait l'air d'une ado pas très impliquée et derrière ses débuts de fous rires et de « heu, chépa quoi dire... humm, han, ffff », on pouvait y voir une petite fille devant son maître, qui n'a pas appris sa récitation mais qui pense que les mots vont surgir d'une dimension inconnue.

Elle a énuméré ses bonnes notes dans des modules informatiques et a évoqué le fait d'aimer cuisiner, entre autres, un tiramisu, apprécié par toute sa famille. Elle se marrait, consciente de passer à côté de l'exercice, consciente de l'image qu'elle nous projetait d'elle.

Alors j'ai gratté un peu, résumant la petite somme de fiertés qui caractérisait sa vie.

Et l'ado s'est figée. La petite fille a disparu. L'adulte est apparue, enfin. Elle s'est excusée de plomber l'ambiance, a pris une respiration profonde, et les larmes aux yeux, sans jamais en verser une seule, elle nous a confié avoir accompagné sa maman, atteinte d'un cancer, vers la mort. Elle s'est retrouvée, avec son papa et ses soeurs, à veiller cette femme qui lui avait donné la vie, à entourer sa plus jeune soeur, à tisser des liens d'une rare intensité, à révéler une force qu'elle ignorait avoir en elle.

Mon crayon s'est posé. Je la regardais, ses deux pieds avaient enfin trouvé leur place dans le sol, elle avait cessé de gigoter dans tous les sens. Son regard posé, son visage détendu, elle était visiblement soulagée d'en parler. Sa fierté, c'est d'avoir fait face, d'avoir accepté l'issue fatale et d'avoir profité de sa maman jusqu'au bout, de l'avoir accompagnée sans faux semblant, d'avoir passé outre la difficulté de la déchéance physique, et celle des places inversées. Elle a pris soin d'elle avec une tendresse infinie.

Il était décidément bien loin son tiramisu.

Nos regards bienveillants vers elle l'ont aidée à se rendre compte de la force qui l'avait animée pour traverser cette expérience douloureuse. Elle en était changée à tout jamais, et on le comprend.

Certains étaient très émus de la découvrir sous cet angle, cette fille qui survolait un peu tout, comme si rien n'avait vraiment d'importance. De fait. Elle se retrouvait un peu anesthésiée, en proie à des émotions particulières, violentes et déroutantes. Pas vraiment en phase avec le chemin qu'elle avait décidé de prendre en venant chez nous.

Y'a encore du boulot, mais quelle aventure ! C'est une porte immense qui s'ouvre.

Depuis, quand j'y pense, je me dis que jamais je ne pourrais vivre cela avec ma mère. On se quittera un jour, sur des non-dits, sur des incertitudes, sur des images floues, des souvenirs effacés. J'ai déjà fait mon deuil de tout ça. Mais demain, tout devient possible. C'est rassurant de penser qu'on est le parent qu'on veut être.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

ça doit vraiment être intense les émotions dans ton job...

Anonyme a dit…

Les larmes sont montées en te lisant... alors imagine si j'avais fait partie du groupe !

Mémère Cendrillon a dit…

Carole, rassure-toi, y'a des jours, souvent d'ailleurs, où les émotions, c'est du hard, de l'énervement à haute dose, mais ces moments-là compensent bien.

Je Rêve, oui, ça reniflait, mais j'aime bien, c'est sain !

Merci les filles !

Anonyme a dit…

Très émouvant comme note...