vendredi 24 août 2007

L'angoisse de la page blanche

Monsieur V.,

Vous étiez mon professeur de français, option approfondissement. Vous étiez le genre d'homme profondément ami de la vie, malgré les difficultés. Vous étiez cet homme gentil qui voulait nous transmettre des choses, pas nous noter absolument.
Je me souviens vous voir entrer en classe, nos commentaires composés sous le bras, corrigés, et pour cause : c'était nul, mais vous ne vouliez pas nous le dire uniquement avec une note, plus ou moins mauvaise.
Nous étions jeunes, vides d'expériences et d'imagination et le verdict est tombé "prenez une feuille blanche et un crayon ... et parlez-moi de l'aïl et de l'oignon". Cet exercice, vous l'avez fait avez nous.

Au bout d'une heure de travail, nous avons dû lire devant nos petits camarades ce que nous avions péniblement réussi à coucher sur la feuille. Quelques définitions, certaines ressemblances. Et nous nous insurgions intérieurement "mais, on s'en fout des oignons, et de l'aïl aussi" !
Puis, ce fut à votre tour, et je me souviens encore précisément de cet instant où vous avez commencé à lire à voix haute votre texte. J'ai fermé les yeux et j'ai compris.
Définitions, si peu ... mais combien d'émotions, de souvenirs, de couleurs, de goûts et d'odeurs, vous aviez lu des minutes durant, faisant exploser ma tête d'évocations multiples. C'était là, à portée de tous, j'ai senti, goûté, voyagé, partagé et presque pleuré tellement je vous entendais les éplucher.

Presque 20 ans plus tard, me voilà en plein atelier d'écriture avec des adultes, et cet épisode a dirigé mon intervention. Partie d'une situation bloquée, je suis obligée de constater que mon tableau est rempli de leurs idées, de leurs évocations, de leurs richesses.

Merci d'avoir cru en nous, d'avoir débloqué ce petit truc qui fait que jamais plus je regarderai ma feuille, ou aujourd'hui mon écran, avec l'angoisse d'autrefois !

3 commentaires:

Madame Poppins a dit…

J'ai le même souvenir, non pas avec l'ail et l'oignon mais avec "le sable sous vos pieds"....

Ces profs-là, trop rares, ont semé des graines qui ont poussé et dont les racines sont profondes, solides...

Dommage que le seul souvenir que je garde de mon prof de physique, c'est le terrorisme à l'état pur....

Anonyme a dit…

J'ai eu moi aussi un professeur de français confit d'intelligence, d'une intelligence pleine de bon sens et d'une certaine manière, de confiance en nous.

A chaque rentrée littéraire, alors que nous n'avions que 17-18 ans et nos rêves d'ados, il nous parlait de livres importants, en nous disant "si vous pouvez vous en souvenir, un jour vous comprendrez".

Ainsi nous avait-il parlé du dernier ouvrage de Nathalie Sarraute (elle avait alors 93 ans), nous brossant au passage un bref portrait du Nouveau Roman (en ce temps là, j'ignorais qu'il y en avait un ancien).

Je n'ai lu ce livre que 10 ans plus tard. Mais en me délectant de la plume vive d'une si "jeune" auteure, et constatant que l'un d'elles avait éclose, j'ai eu une pensée pour mon professeur de français qui avait su, 10 ans plus tôt, comme il a été écrit ici, planter des fleurs.

Mémère Cendrillon a dit…

Madame Poppins, "le sable sous les pieds", c'est tout un roman, que dis-je, un volcan de sensations !
Mon prof de physique était loin d'être une terreur, mais il a vait un haleine tellement infecte que j'ai eu du mal à survivre !

Coacoa, incroyable que tu évoques Sarraute, l'épisode relaté concernant aussi le Nouveau Roman, mais G. Perec et "Les choses".

Aaaaahhhh ces profs-jardiniers, qu'est-ce qu'ils me manquent ...