mercredi 12 septembre 2007

Non, mon fils, tu n'iras pas à l'usine...

"Tu sais, mon fils, de mon temps, on n'avait pas autant de chance, ni autant de possibilités pour se sortir de la merde, mais toi, ce n'est pas pareil..."

Le fils, né fin des années 80, vient de terminer l'école secondaire, après avoir approfondi quelques années. Son père est ravi, c'est le premier fiston de la famille qui termine ses études.

Depuis qu'il est né, le père sent que son fils a du potentiel, il ne cesse de le répéter. A l'école primaire, il était parmi les meilleurs, sauf qu'il n'y a plus de classement, c'est démodé. Aujourd'hui, on ne note plus, on ne compare plus, chaque enfant a du talent, ils sont tous bons, ils sont tous les meilleurs.

Le père a cru les enseignants. Parce que dans sa pensée, le maître d'école, il dit vrai, il sait, il comprend et il voit l'avenir de ces enfants dont il a le destin entre les mains.

Alors le fils a grandi, avec une double mission, ne pas décevoir son père et ... ne pas décevoir son père. Il n'ira pas à l'usine, lui, parce que son père y laisse des plumes depuis bientôt 30 ans, et parce qu'il a été parmi les meilleurs à l'école primaire. Après, les choses se sont un peu gâtées, mais peu importe, le fils a toujours réussi à sortir vainqueur des maîtres, des contraintes, des efforts non fournis.

Et la mère dans tout ça ? Elle prie, bien sûr, elle rêve de voir son fils avec "un emploi stable". Un job sans horaires à pauses, un job au chaud, derrière un ordinateur, d'ailleurs son fils y est déjà tout le temps. Un job pour 40 ans, où la fidelité paie.

Le fils est venu me voir. Il était porté par son père, sa mère, sa famille entière. Sa seule motivation, "un emploi stable, dans un bureau", avec des acquis peu acquis et des connaissances "élémentaires-de-base-style-2+3=5" encore un peu limites ...

Si seulement ce fils avait grandi avec l'image d'un père fier d'aller bosser à l'usine, fier de son métier, fier de ses mains, fier de son savoir, fier de faire, de fabriquer, de réaliser. Si seulement ce fils avait pu suivre les pas de son père, je n'aurais pas eu à lui dire ce que j'ai dû lui dire, et qui a certainement laissé cette famille sans voix, tellement elle y croyait, en son fils prodigue.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Aïe, cruel...

La "réussite" (gloups), c'est une notion tellement floue et si souvent mal interprêtée...

Pauvre Monsieur.

Mémère Cendrillon a dit…

La chute est douloureuse, en effet. C'est là qu'on se rend compte que la vérité a de multiples facettes...