- Miroir, cela fait plus de 2 ans que cette femme est arrivée au village, et elle ne sort presque pas, les gens la disent sauvage, son regard est si triste, son pas si craintif, son corps si effacé. Comment faire pour m'en approcher ? Toutes mes tentatives sont restées vaines...
- Cendrillon, approche... Cette femme fuit son passé, elle survit dans un corps qui ne lui appartient plus, croit-elle. Elle a perdu sa confiance dans le monde. Là où nous rassurons notre enfant qui pleure sa douleur de notre arrivée imminente pour le prendre dans nos bras, elle a hurlé sa détresse mais personne ne l'a entendue, personne ne pouvait l'entendre. Elle a enduré des douleurs que je ne saurais te décrire, parce qu'il n'y a pas de mots pour ça, ce sont des expériences qui se vivent, mais qui ne se disent pas, sans quoi on risquerait de tourner en rond, de métaphore en métaphore, sans toucher le vrai, sans dire avec les bons mots.
Son esprit s'est certainement déconnecté de la réalité pour survivre, son corps s'est anesthésié lui-même, produisant ses propres hormones pour lutter contre une telle monstruosité.
Cendrillon, elle aurait dû mourir, tu comprends ? Lorsque ses bourreaux se sont débarrassés de son corps, ils la pensaient certainement morte, mais un tout petit filet d'air la maintenait en vie. Le hasard a voulu qu'un anonyme l'a trouvée, a appelé les secours et ce geste l'a sauvée.
Cendrillon, cette femme a été torturée. La souffrance morale du viol subi fait pâle figure à côté de ce sentiment d'aliénation qui l'étreint aujourd'hui. Elle est devenue étrangère aux autres et à elle-même.
Tu comprends Cendrillon, que cette femme ne peut pas te sourire et attraper cette main que tu lui tends, elle n'est plus en mesure de comprendre ta démarche. Elle a réintégré le monde des vivants alors que son âme a rejoint les morts... Je suis désolé, Cendrillon, je comprends ta déception.
- Merci, Miroir. J'ai besoin de temps pour digérer cette histoire, mais je ne peux concevoir de rester là, immobile et figée. Cette femme a un prénom, je ne le connais pas, mais je le trouverai et je le lui ré-apprendrai. Et si elle n'attrape pas ma main, ce n'est pas grave, l'important, c'est qu'elle reste tendue. Cette femme a certes le droit à son statut de victime, mais nous, on a le devoir de la respecter, de l'écouter, de l'empêcher de se noyer.
- Cendrillon, bon nombre de torturés se sont noyés...
4 commentaires:
Oufti ... c'est une métaphore ou c'est une personne que tu croises? J'avoue que je suis perdue...
Bisous à toi et pensées pour cette dame, à bientôt en vrai, phil
"Bel" hommage en ce jour où, toutes bougies allumées, moi aussi, Cendrillon, je pense à cette femme...
Elle est notre voisine, l'étrangère nouvellement arrivée, celle qui reprend des études après avoir fui son pays...
Les cris qu'elle pousse la nuit, lorsqu'enfin elle glisse dans une vague torpeur, me réveille parfois aussi.
Ne devraient-ils pas m'éveiller plus souvent ?
Ne devrais-je pas me lever à nouveau, tel que je l'ai fait si souvent voici quelques années ?
Mon confort, mon boulot, les enfants ont-ils laissé mes combats sur le chemin ?
Cendrillon, tu m'a mené au miroir ce soir... "Avant", je ne me contentais pas d'une bougie. Il va me falloir retrousser à nouveau mes manches pour redonner un nom à cette femme.
Phil, c'est "juste" une pensée pour ces milliers de femmes, d'hommes, d'enfants, morts ou (sur)vivants qui ont vu leur vie basculer par le "simple" geste destructeur d'un homme, d'une femme qui s'est arrogé(e) le droit de détruire, au nom de quoi, je me le demande encore... Des bises à toi aussi.
Pisinglili, il y a qq années, je me contentais aussi de la bougie, aujourd'hui, je me satisfais d'une pensée, mais je dois avouer que j'ai le bide tordu, souvent. Le chemin qui mène au combat public, est long en ce qui me concerne...
Ben oui, bien sûr, c'était clair mais pas percuté, juste que avec ces travaux, cet hiver, cette fatigue, je suis juste un peu à la masse!! Merci en tout cas!!!
bisous, phil
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