"Attention, tu vas tomber !" me disait ma mère lorsque, petite, j'essayais de grimper toute seule à l'échelle du toboggan de la plaine de jeux du quartier.
"Si tu manges un chewing-gum, tu risques de l'avaler, et de t'étouffer" me disait-elle encore.
"Si la guêpe s'approche de toi, elle peut rentrer dans ta bouche, dans tes narines et te piquer partout à l'intérieur et tu mourras" continuait-elle.
Je faisais confiance à ma mère. Comment pouvait-il en être autrement ? Comment aurais-je pu mettre sa parole en doute ? Elle m'avait portée, enfantée, élevée, elle m'aimait et me montrait par là combien elle tenait à moi. Pour honorer cet amour, la moindre des choses était de ne pas tomber, de ne pas manger de chewing-gums et surtout, de hurler et de courir dans tous les sens lorsque je voyais une guêpe.
J'étais une enfant angoissée, en proie à de nombreuses idées noires, qui aimait sa mère tout en la craignant, en craignant d'aimer sa mère aussi, de lui montrer, de lui dire.
J'ai été une adolescente très angoissée, bourrée d'a priori, de fausses vérités, incapable de dire sa colère, sa révolte, incapable de libérer des tensions vives qui avaient pris racine depuis l'enfance. Je détestais l'enfant qui sommeillait encore en moi et exécrais l'image de l'adulte qui se profilait devant mes yeux.
Je suis devenue une jeune adulte très complexée, mais surtout peu confiante. La terre tremblait sous mes pieds du matin au soir, j'avais du mal à composer avec l'image que je renvoyais.
Je pourrais dire que 6 années de thérapie ont eu raison de ce sentiment, mais ce serait trahir une partie de la vérité. 6 années de thérapie ont servi à me préparer à la perte de contrôle que j'allais devoir supporter.
La première étape fut un apprentissage des sens. La vue occupait 90 % de mon mode de fonctionnement. Je ne croyais que ce que je voyais, il me fallait voir pour que les choses prennent forme et consistance. J'écoutais peu, trop occupée à regarder alentours. Je détestais toucher les gens, les matières, poser ma main sur un mur, un accoudoir, le froid, le chaud etc. Les odeurs, toutes, m'incommodaient. J'étais devenue incapable d'apprécier l'odeur d'un plat qui mijote, des fleurs qui parfumaient une pièce. Je goûtais sans plaisir, mangeais sans sel, préférant le "fade" à toutes les sauces.
La deuxième révolution eut lieu quelques mois plus tard. Alors que je pensais avoir la mainmise sur mon corps, diriger ma vie avec une certaine organisation, alors que je m'appliquais à ouvrir mon éventail de sensations tactiles, auditives, olfactives et gustatives, j'appris, au détour d'une analyse d'urine faite d'urgence, que le diabète ferait désormais partie de moi, et que j'allais devoir vivre avec lui, d'accord ou pas.
Ce fut l'apothéose de mon apprentissage sensoriel. Écouter mon corps et moins ma tête, faire confiance à des sensations, et non à des impressions. Il m'aura fallu évidemment comprendre le déclencheur d'une telle bombe, retracer les derniers événements pour comprendre les dégâts qu'avait causés un choc émotionnel violent trop vite "intellectuellement, raisonnablement" réglé.
Faire de la place en moi pour accepter la maladie non plus comme une ennemie mais comme une compagne de route, d'infortune certains jours, apprendre à m'écouter non plus parler, ni écrire, mais vivre, m'a permis de créer la confiance dont j'avais tant besoin pour grandir.
D'avoir déconstruit brique par brique l'enclos dans lequel je me trouvais m'a donné le pouvoir de faire de moi l'artisan de ma vie, qui construis un mur à droite, et une porte de chaque côté, en sachant que si demain, le mur tombe, je pourrai toujours en reconstruire un autre.
7 commentaires:
Chapeau bas!
Je me retrouve dans ta note...
y a pas à dire, mais tu as fait un sacré chemin. Mettre des mots sur ton vécu, ton combat(?), comme tu le fais, est une sacrée pierre à l'édifice que tu construis... Bravo pour tout ça, merci de nous faire partager et gros bisous ! Amicalement, phil
je trouve ça super d'avoir réussi à t'en sortir qu'elle qu'en soit la façon... la confiance en soi est un atout tellement primordial dans la vie...
Le début de ton billet me fait flipper car je suis de nature peureuse et ma grande "peur" est de rendre ma fille angoissée sans m'en rendre compte. Ce qui est sûr c'est que je prends souvent sur moi pour la laisser faire des choses "dangereuses"!!!
...un nouveau mur, ou une autre porte. parce que ce qu'il y a de bien avec les portes, c'est qu'on les ouvre ou qu'on les ferme, comme on veut.
en tout cas Bravo ;) et merci de nous faire partager ces vrais moments...
Hello Cendrillon... Mon fiston de 14 ans a été diagnostiqué il y aura 10 ans le 1er avril d'un diabète insulino dépendant... Ce fut un choc pour nous. C'est encore un combat pour lui, adolescent et si peu confiant en lui, si angoissé... J'espère qu'il apprendra à se reconstruire comme toi tu l'as fait.
Dino, merci, mais je dois avouer que je n'ai rien voulu de tout ça, tout s'est fait comme ça, intuitivement presque...
Ange-étrange, l'important, c'est le bout du tunnel, pas la longueur de celui-ci ni l'intensité du noir qu'il dégage... n'est-ce pas ?
Philippine, merci mais le vrai combat est ailleurs. Bises à toi aussi !
Carole, je dois me raisonner au quotidien, parce que les phrases terrorisantes de ma mère emplissent ma bouche. Il faut que j'arrive à les transformer et que l'idée reste, mais que les mots changent. Dur dur...
2L, oui, bien sûr, des portes, et des fenêtres aussi, tout plein !
Nickye, j'imagine combien il doit être difficile de se construire si jeune avec un DID. J'étais plus âgée, cela m'a sans doute aidée. Transformer ses faiblesses en force demande de la maturité qu'on est en droit de ne pas avoir à 14 ans. Bienvenue par ici !
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