vendredi 13 juin 2008

Sur le quai

Je suis entrée si doucement qu'elle ne m'avait même pas entendue. J'ai cru qu'elle s'était assoupie, espérant ainsi faire passer plus vite le temps qui semblait s'être arrêté dans cette chambre, dans cette résidence, où tout allait lentement, où on parlait fort, où on entendait pleurer parfois.

Mais elle ne dormait pas. Ses yeux étaient bien ouverts, même si la cataracte déjà opérée pourtant, était revenue et donnait un aspect vitreux à ses yeux las de la vie. Je me suis penchée, délicatement, pour l'embrasser et sentir cette peau flasque et complètement détendue et pourtant si douce, si aimante, qui sentait le savon et l'eau de cologne vieillie.

Elle n'a pas voulu de mon étreinte, elle m'a repoussé du bras, exactement comme si je l'empêchais de voir la seconde fatidique d'un téléfilm à suspense. Mais la télé était éteinte.

Elle attendait le train sur le quai d'une gare et regardait fixement l'horizon, de peur de le manquer. Elle devait aller chercher sa petite-fille, Cendrillon, à la crèche, et cette mission ne souffrait ni retard, ni détours.

Mais c'était moi, Cendrillon, je n'avais plus 2 ans, mais la vingtaine plus qu'entamée, et voilà que cette grand-mère, si heureuse de me voir quelques jours auparavant, comme à chaque visite, me prenait pour un certain Raoul qui la gênait affreusement.

Alors, je me suis assise et j'ai attendu le train avec elle. Je scruttais l'horizon, moi aussi, et je me concentrais pour ne pas pleurer, parce qu'elle semblait heureuse d'aller me chercher à la crèche. Elle me parlait comme on parle à une inconnue qu'on croise dans une salle d'attente. On parle pour briser le silence, pour passer le temps, même si on ne se dit rien d'important.

Quand il fut l'heure de la quitter, je me suis levée et lui ai dit de ne pas s'inquiéter, que son train allait arriver, que sa petite-fille Cendrillon serait très heureuse de la voir, que c'était la meilleure des grands-mères. Je l'ai embrassée, et elle s'est laissée faire.

Je me suis engouffrée dans ma voiture pour pleurer. Je venais de la perdre. De lui dire au revoir et de commencer mon deuil. Elle ne m'a plus jamais appelée par mon prénom.

2 commentaires:

Mr et Mme Poulets a dit…

J'ai été bien souvent "Céline", ou "Madame"; j'ai entendu bien des fois "je ne sais pas qui vous êtes".

Elle m'a fait le cadeau d'un "moi aussi je t'aime" accompagné d'un bisou deux jours avant de partir, dans un sursaut de lucidité. Et moi je la tenais dans mes bras lorsqu'elle s'en est allée. Je n'arrive pas à m'en rendre compte.

Des expériences fortes, des dames inoubliables.

Anonyme a dit…

mmmhh..je lis je reçois je ressens ce sentiment d'arrache coeur...mais que dire..?