mercredi 9 juillet 2008

L'enfant à nous

Novembre 2001.

Le Prince et moi sommes en rendez-vous avec le banquier au sujet d'un prêt hypothécaire pour acheter notre maison. Il faut discuter un million de choses, mais on arrive à peine se concentrer. J'ai un coup de fil important à passer : le laboratoire qui a fait notre toute première fécondation in vitro va pouvoir nous dire, d'ici quelques minutes, combien d'embryons nous attendent.

Je m'éclipse de la discussion avec le banquier, et sors de la banque. Il ne fait pas si froid que ça, finalement. La voix qui décroche le téléphone est sympathique, mais elle change de ton à l'annonce de mon nom. Il s'est apparemment passé une chose extrêmement rare dont elle ne peut me parler au téléphone, il faut que je parle au médecin, absolument.

Mais, Madame, combien y a-t-il d'embryons, alors ?
Aucun. C'est terminé pour vous.

Le sol s'est ouvert sous mes pieds, j'ai glissé dans un gouffre dont je ne voyais pas le fond. Je me suis sentie vasciller. Pourtant, la négociation pour un prêt devait continuer.

Combien ? m'interroge le Prince.
Aucun. Je t'expliquerai.

Je n'ai rien pu lui expliquer, je n'ai pas pu joindre le médecin ce jour-là non plus. Mais il nous a reçu, quelques jours plus tard, et nous a expliqué la très mauvaise nouvelle liée à cette première tentative : il n'y avait pas de patrimoine génétique dans mes ovocytes.

Nous avions pourtant tout fait dans l'ordre, comme on nous l'avait dit. On s'était préparé à un résultat négatif, à une annonce d'une grossesse gémellaire, mais se prendre froidement dans la tronche que mes foutus ovaires ne fabriquaient même pas le strict nécessaire pour fabriquer un bébé n'était absolument pas prévu, mais alors, pas du tout envisagé.

Le médecin s'est montré rassurant, d'une part en nous proposant de recommencer au plus vite une nouvelle tentative, afin de confirmer ou non ce premier résultat; d'autre part, en nous parlant du don d'ovocyte.

Vous avez une soeur ? Une cousine ? Une demi-soeur ? Une personne de sexe féminin, de votre famille, jeune, qui pourrait ...
Non.

Faire le deuil d'un enfant biologique, à nous, qui nous ressemble, un enfant tout court, un enfant comme la plupart des gens font, à deux, pas dans l'idée de transmettre ses gènes, mais parce que naturellement, c'est comme ça que ça doit se passer.

Vous connaîtriez quelqu'un, une amie, qui a déjà un enfant, qui a moins de 38 ans, qui pourrait éventuellement, vous aider ?
Un don direct ?
Oui, ici, on ne fait que ça, on a trop peu de cas pour mélanger.

Porter l'enfant génétique de son conjoint et d'une amie assez proche pour qu'elle puisse m'offrir ce cadeau ? Est-ce un cadeau.
Je n'ai jamais pu me faire à cette idée. J'étais terrorisée à l'idée de voir cet enfant grandir, et ressembler à sa mère génétique, de me surprendre à chercher des traits similaires, à éventuellement devoir faire appel à elle, à son patrimoine génétique, en cas de maladie par exemple. J'étais livide d'imaginer lui dire "c'est moi qui t'ai porté, mais ce sont ses gènes qui t'ont fabriqué, en partie" parce qu'à l'époque, dans ce parcours interminable, la grossesse ne menait pas nécessairement à la parentalité.

Mais, un enfant, ce n'est pas que les liens du sang.
Lorsqu'on est dans un processus aussi déshumanisé que la PMA, un enfant, c'est aussi une histoire de sang, de caryotype, de compatibilité. L'amour, dans la PMA, c'est une histoire de couple, et non encore de parents. L'amour est revisité, réinventé, tout change, sa vision du monde, de son histoire, de sa trace dans cette histoire.

La grossesse me paraissait si abstraite. Un moyen d'accéder à cet enfant tant désiré, mais absolument pas à un état de grâce. La grossesse n'allait pas faire de moi une mère. Mère, je le suis devenue dans ce combat vers mes enfants, bien avant d'être enceinte.

On aurait pu changer de centre et "apporter une donneuse", ce qui nous aurait permis de bénéficier d'un don anonyme. Mais si j'avais mené des discussions dans mon entourage, histoire de "sonder" les avis, il m'était apparu que des amies volontaires voulaient le faire pour nous, exclusivement. Elles voyaient dans cet acte un cadeau ultime, mais ne pouvaient l'envisager "sans savoir", de manière anonyme.

Mais moi, je bloquais. J'avançais péniblement vers le deuil de l'enfant génétique, et ma raison d'un côté, et mon coeur de l'autre, se déchiraient, jour et nuit, nuit et jour. La bataille qui se jouait à l'intérieur de moi était d'une rare violence, et c'est une des seules fois dans ma vie que je me suis trouvée face à un mur bien plus haut que toutes les échelles que j'aurais pu assembler.

Heureusement, 6 semaines plus tard, une autre voix du même labo m'apprenait que 8 beaux embryons nous attendaient, et le soulagement fut à la hauteur de l'inquiétude que cette première FIV avait provoquée.

Le sentiment de vide, d'incomplétude que laisse un diagnostic de stérilité éveille en nous des élans primaires, des réactions animales. Je me suis surprise plus d'une fois à "voir" mon ventre réfléchir tout haut, sans que ma tête puisse lui répondre. On me tordait le bide, il avait bien le droit de gueuler, non ?

2 commentaires:

Anonyme a dit…

L'horreur en PMA prend de multiples facettes : stress, doute, vide, peur de l'inconnu, peur du résultat, peur du deuxième traitement qui ne sera pas le même que le premier, incertitude.

Une des aspect qui me ronge le
plus : l'impuissance. C'est pas "comme à l'école où je peux étudier mieux pour la seconde sess"... ici, on n'a pas de prise, aucune maitrise. D'où l'infranchissable mur dont tu parles si bien.
Bises
MP

Anonyme a dit…

première visite sur ce blog
frissons à la lecture de cet artcile...