jeudi 4 septembre 2008

Au départ, il y avait...

MM1 ne m'a pas encore posé beaucoup de questions sur sa naissance. Je pense qu'elle se contente actuellement de la représentation mentale qu'elle s'en est faite. Elle sait que les bébés "poussent" dans le ventre de leur maman, et que quand il n'y a plus de place, il faut qu'ils sortent. Et pour sortir, on coupe le ventre de la maman.

Je me suis arrêtée là. J'aurais pu, il est vrai, lui expliquer que "normalement", on ne coupe pas le ventre de la maman pour faire sortir le bébé, mais que celui-ci est expulsé par la maman, mais c'était m'embarquer dans une série de pourquoi que je n'avais pas envie d'aborder.

Je n'aime pas "parler naissance". Non seulement parce que je n'ai pas l'impression d'avoir vécu par deux fois la naissance, mais bien un acte chirurgical, dans un bloc opératoire, un anesthésiste, des bras liés et attachés, des perfusions, une pompe à insuline, mais aussi parce que l'idée que je me suis faite de MA naissance est une idée terrifiante.

Il m'est arrivé de raconter cet épisode à un docteur extraordinaire, lorsque je tentais de me préparer à la naissance de MM2. Pourquoi autant de résistance ? Pourquoi accoucher était devenu une course contre moi-même, pourquoi aller au bout de cette grossesse était un besoin, une raison d'être … Pourquoi envisager la césarienne comme un échec ?

Qui m'a dit comment je suis née ?
Ma mère.

Bien sûr, je ne me souviens pas "être née", l'instant précis inscrit sur mon acte de naissance reste une donnée suspendue dans le temps. Mais je me rappelle poser cette question à ma mère : "comment je suis née ?" et les instants qui ont suivi.

"J'aurais voulu un garçon, et qu'il naisse en mai. J'ai eu une fille et elle est née en juin."

Chlan. 1er coup de poignard dans un petit cœur encore curieux.

"Mais comment je suis sortie de ton ventre, maman ?"
"Tu devais naître, mais en pleine nuit, je me suis sentie très mal, ton papa m'a emmenée à l'hôpital et je suis immédiatement partie au bloc opératoire, parce que tu avais arraché le cordon et que tu te vidais de ton sang. On m'a ouvert tout le ventre, tu as vu ma grande cicatrice ? Je ne pourrai plus jamais mettre un bikini, en plus, je cicatrise très mal."

"Et j'avais mal quand je suis née ?"
"Toi, non, tu n'avais pas mal, mais tu avais perdu beaucoup de sang, tu ne pesais plus qu'1 kg 900. On t'a mise en couveuse 1 mois."

"c'est quoi une couveuse ?"
"C'est un petit lit dans une grande boîte transparente où il fait bien chaud pour aider les bébés trop petits, trop maigres à reprendre des forces."

"Un mois ? Et tu es restée avec moi ?"
"Non, je suis rentrée à la maison pour me reposer. Mais je venais te voir derrière la vitre, tous les jours."

"Tu me donnais le biberon ?"
"Non, c'était l'infirmière qui le faisait."

"Et mon petit frère, il est aussi resté dans la boîte transparente ?"
"Non, ton petit frère, il est né tout seul, tout s'est super bien passé."

Dans mon esprit d'enfant de 4-5 ans, j'ai interprété les photos que je voyais dans l'album. J'avais 1 mois. Il n'y a pas de photos de moi dans la couveuse, ni d'elle qui me tient dans ses bras, et me parle tout doucement.

Je suis née quand j'avais 1 mois. Avant, on m'a abandonnée. On a pensé que la couveuse remplaçait le ventre maternel, et que ma gestation allait durer 10 mois au lieu de 9. J'ai aussi enfoui très profondément en moi l'image d'un bébé in utero qui tirait très fort sur le cordon afin de l'arracher. Était-ce une tentative de suicide ? Je l'ai imaginé, très longtemps.

Et puis, je me souviens avoir été fascinée par cette étrange et horrible cicatrice qui avait défiguré le ventre de ma mère. Verticale, elle partait du dessous de ses seins pour atteindre son pubis. Et elle était moche, toute boursouflée, et mauve foncé. C'est ma naissance, ça. C'est ma porte de sortie.

Et "cet enfant d'un kilo neuf cent" qu'on vient voir derrière une vitre comme un objet de musée, tous se sont certainement préoccupé de son poids, de son anémie, mais qui s'est occupé de lui ? Des inconnues dont il ne reconnaissait pas l'odeur. Il a découvert la voix de sa mère alors qu'il l'avait peut-être oubliée, et s'est contenté de ce qu'on lui offrait.

Je ne sais rien sur ce bébé, sauf qu'il dormait peu, et avait besoin de lumière la nuit.
Je ne sais rien non plus sur le ressenti de cette femme, qui un jour, a raconté à son unique fille, la terrible nuit qui a fait d'elle une maman pour la première fois.

Alors je brode mon histoire sur des faits, et sur ce que j'en ai fait.
Lorsque MM1 me demandera comment elle est née, je lui raconterai sûrement cette émotion énorme qui m'a envahie, cette impression magique d'avoir gagné une bataille sans nom, cette élan d'amour incontrôlé qui me faisait lever 10 fois malgré des côtes froissées, cette volonté sans limite de nourrir ce bébé toute seule, et cette vie qui avait changé à tout jamais.

Parce qu'on naît aussi à travers le récit de ses parents.

(Merci à Siamoise, que je ne connais pas, et qui a laissé un commentaire très touchant sur un de mes billets récemment.)

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Ton récit bouleversant me fait prendre conscience que je ne sais rien de ma naissance, que je n'ai pas de photo de moi et mes parents tout bébé ou alors 1 seule... Je n'ai rien pu demander à ma mère si peu connue, trop pudique pour en parler à mon père mais je crois qu'à te lire je vais le faire...
Malgrè tout, je me construis en tant que maman sans aucune référence, sans modèle, sans souvenirs, sans copier... et j'y arrive je crois!
Merci...
Bises

Anonyme a dit…

...ben c'est sûr, raconté comme ça par une maman, on peut difficilement bien vivre un accouchement après...quelle héritage !
aux USA, près de 60% des accouchements se font par césarienne...
pourquoi est ce que mes copines qui l'ont vécu (subi ?) s'en sentent si coupables ?
si je l'avais eu, je n'aurais pas eu le fond du pantalon tout déformé, c'est lui qu'on a éventré à tout jamais, avec >10 cms de couture et l'aide des forceps...

Callie a dit…

Comme souvent en te lisant, j'ai les larmes aux yeux. Te découvrir petite à petit me fait comprendre (un peu) la force qui t'anime, toujours.

Je t'embrasse