vendredi 17 octobre 2008

"Celui des deux qui reste se retrouve en enfer"

chantait Brel.

J'ai préféré oublier le mois, l'année. Je me souviens avoir terminé le boulot un peu plus tard ce soir-là et d'avoir pourtant modifié mes plans en ne rentrant pas chez nous. Je me suis arrêtée la voir, elle, ma grand-mère chérie et adorée, elle qui de jour en jour perdait ses forces, ses souvenirs, ses repères, elle qui venait de perdre sa voisine de pallier grâce à qui elle trouvait une raison de vivre cette dernière ligne droite, elle qui avait besoin de nous.

Je suis sortie de l'ascenseur et me suis approchée de sa chambre dont la porte était restée ouverte. J'entendais une infirmière lui parler fort, avec une louche d'impatience dans la voix, et surtout, elle la tutoyait. Elle s'adressait à elle comme on s'adresse à un enfant qui refuse d'obéir et qui nous fait perdre un temps précieux, mais elle, le temps, elle en avait perdu la notion.

Mon coeur s'est serré, très fort. Je suis entrée dans la chambre et la voix de l'infirmière s'est immédiatement faite plus douce, elle s'est mise à lui parler avec respect, calmement, doucement. J'ai ravalé ma salive et tenté d'oublier cette boule dans la gorge. Je me souviens m'être demandée si j'avais rêvé cet instant-là ou si j'avais vraiment entendu cette intonation terrible dans la voix de cette femme qui manipulait une pauvre octogénère sans défense.

L'infirmière a quitté la pièce, a fermé la porte, et doucement, je lui ai demandé si le personnel était gentil avec elle.

Cet épisode remonte à 6 ou 7 ans, peut-être même 8, je suis incapable de poser une date. Et ma mémoire me lâche à cet instant précis. Je ne me souviens pas de sa réponse. Mais je suis sûre d'une chose, c'est que jamais je n'aurais pensé à cette époque, qu'on puisse maltraiter des "vieux" dans des maisons de retraite. Nous avions choisi sa nouvelle "maison" avec elle, prenant soin de tout visiter et de nous assurer des soins donnés, de la qualité du personnel soignant.

Je crois que j'ai fermé les yeux.

Il y a quelques jours, juste avant d'éteindre la télévision, je suis tombée sur un reportage sur la maltraitance des résidents d'une maison de retraite, et je crois que j'ai ouvert les yeux, aujourd'hui, des années plus tard.

Depuis, ces images me hantent la nuit, me poursuivent le jour. Ce que j'avais craint et qui me semblait surréaliste s'est révélé être une possibilité. J'ai fermé les yeux, parce que j'ai cru impossible qu'on puisse s'en prendre à une vieille dame, si gentille, si peu encombrante, si peu demandeuse.

Pourtant, les faits divers regorgent de parents complaisants qui n'ont pas vu leur enfant abusé sous leur yeux, les maisons cachent des violences tolérées sans que personne s'émeuve, et moi, moi et ma grande gueule, moi et mes idées de justice, moi et mon intuition, on est juste des merdes de n'avoir rien osé dire, d'avoir fait confiance à des étrangers plutôt qu'à celle dont l'amour a transpiré des décennies durant.

J'ai honte.
J'ai mal.
Pardon.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

le terrible dans ton histoire c'est la prise de conscience des années après - et l'impuissance qui va avec. je crois qu'il y a tellement de signes qu'on écoute pas ou qu'on met de coté...

Anonyme a dit…

Comment être sur...
Pour nous, c'est terrible. L'arrière grand-mère de Nina est en maison de retraite médicalisée vers Belfort... On va la voir dès qu'on peut mais on est loin, trop loin. ça a l'air de bien se passer mais j'aimerais avoir une caméra cachée pour savoir s'ils la sortent vraiment de son lit aussi souvent qu'ils le disent etc... On ne peut pas trop communiquer avec elle, bon elle n'a pas l'air malheureuse mais comment savoir...