Je venais de lire en diagonale son CV. Cela m'avait pris moins d'une minute et ma main, d'un geste machinal, avait pointé les fautes d'orthographe, et relevé les incohérences de parcours. La candidate précédente était sortie quelques minutes auparavant, laissant une atmosphère désagréable dans la pièce, lourde d'odeurs de parfum bon marché, et de questions sans réponse.
J'aurais aimé ouvrir la fenêtre et balayer l'air chargé mais un rapide coup d'oeil à la montre de l'ordinateur indiqua qu'il était temps de recevoir la personne suivante.
Elle est entrée, elle au CV vide et plein de fautes, elle est entrée et s'est assise et a souri. Après quelques formalités d'usage, elle s'est mise à parler et à raconter son tout petit bout de vie, du haut de ses 24 ans.
J'ai arrêté de prendre des notes pour la regarder, entièrement captivée par sa présence, par ses mots, par sa réflexion si mûre, par son histoire, par son fardeau qu'elle nous déposait là. J'avais du mal à résumer ses paroles, je savais que l'instant était en train de se graver en moi et que je ne l'oublierai pas. Je sentais bien que mon collègue à mes côtés retenait son souffle.
A l'heure où ses copines cherchent l'âme soeur en discothèque, elle élève seule son fils de 8 ans, et apprend à lire, à écrire avec lui, pour lui. Elle gagne sa vie en nettoyant des bureaux, pour lui. Et puis, la nouvelle tombe, il est dyslexique ce petit. Et elle qui a arrêté l'école à 16 ans pour le mettre au monde se réveille à son tour et refuse d'accepter la réalité somme un fardeau. Elle l'accompagne dans sa bataille contre les noeuds de la lecture, de l'apprentissage, elle apprend avec lui, tous les jours, et elle y prend goût.
Seulement, les années passées à s'oublier ne se rattrapent que difficilement. Et quand je sors de ma réserve et la mets en difficulté sur un point précis, elle est blessée, parce qu'elle pense comprendre que je vais lui refuser le sésame de cette formation dans laquelle elle a mis beaucoup d'espoir.
Elle n'a pas le niveau. Et pourtant, on ne peut pas la laisser là. On ne peut décemment pas ne pas lui donner une deuxième chance, elle qui réfléchit depuis si longtemps, a bravé le parcours du combattant seule, sans parents, qui ont fermé leur porte à leur fille enceinte, sans le père de son fils, parti vivre sa vie ailleurs.
Elle compte ses sous, mais pas son courage, elle compte son temps, mais pas sa motivation. Elle compte ses erreurs, toute seule, avec un regard juste et aiguisé. Alors, nous lui avons accordé notre confiance, et elle l'a reçue comme un cadeau. Elle s'en est allée, le pas un peu plus léger, et moi, j'ai eu hâte de la retrouver, en cours, d'ici quelques semaines.
Elle avait chassé l'ambiance lourde et pesante. Nous avions dérogé à nos habitudes, à une certaine rigueur que l'on s'impose, et on était contents. Soulagés. Émus.
6 commentaires:
Être humain, simplement.
Oui, tout le monde a droit à une 2ème chance. Tout le monde.
Beau boulot, madame Cendrillon !
Magnifique note mémère !
bravo :)
et pour avoir fait des gestes de ce type...ça restera dur. il ne faudra pas (la) lacher...
Ouf... j'ai eu peur que vous n'ayez pas eu le "droit" de l'accepter malgré tout...
Merci...
Les petits coups de pouce au destin de chacun... superbe!
Tu nous donneras des nouvelles, dis ?... je suis ravie que vous ayiez pu faire ça...
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