lundi 11 mai 2009

4 secondes

Elle est hospitalisée dans un hôpital de la région, c'est loin d'être un CHU, mais elle a fait confiance à son médecin qui l'y avait envoyée. Elle avait subi une kyrielle d'examens et elle attendait à présent les résultats. Lui, son mari, passait la voir plusieurs fois par jour. Ensemble, ils attendaient.

Ils avaient évoqué ensemble le pire, à savoir le cancer ou toute autre maladie dégénérative qui ne lui laisserait qu'un temps limité pour voir ses adolescents devenir des adultes, puis des parents. Ils en parlaient comme pour exorciser le sort, comme si le fait même de dire les mots allaient anéantir la maladie. Et puis, elle finissait par évoquer de simples problèmes hormonaux, parce que le visage si crispé de son mari la bouleversait au plus haut point, et qu'elle voulait garder ses sanglots pour quand il serait rentré chez eux, seul.

Il était venu lui apporter un peu de réconfort dans cette attente qui leur semblait interminable: il lui avait apporté sa pâtisserie préférée, et un thermos de café. Puis il avait dû repartir, l'heure avançant. Et le médecin n'était toujours pas passé.

Il n'osait pas demander vers quelle heure celui-ci comptait venir, ou s'il viendrait seulement le lendemain. Personne ne le leur avait dit, et ils continuaient d'attendre, patiemment.

Il avait repris le même chemin que la veille et l'avant-veille, et s'était décidé pour l'ascenseur, après avoir jeté un rapide coup d'oeil chargé de culpabilité aux escaliers. Il s'engouffra dans l'ascenseur, déjà bien rempli, et n'eut même pas besoin d'appuyer sur le "zéro", c'était déjà fait.

L'ascenseur s'arrêta au 4e, et par chance, il se vida un peu. Au 3e, les portes s'ouvrirent et le hasard fit qu'il tomba nez à nez avec le médecin qu'ils attendaient tant. Avec son visage jovial, le médecin le reconnut aussitôt, lui serrant même la main, malgré ses bras chargés de dossiers.

C'est que par chance, le spécialiste avait sous la main les résultats tant attendus, et se trouvait presque ravi de rencontrer le mari de sa patiente dans l'ascenseur, pour lui communiquer une suite de mots savants dont il ne retint que "tumeur" et "maligne".

4 secondes plus tard, ils étaient au rez-de-chaussée, il s'engouffra dans le hall d'entrée, comme happé dans une autre dimension. Les portes de l'ascenseur s'étaient refermées sur le médecin aux mains chargées de dossiers de patients.

4 putains de secondes qui lui ont paru une éternité, pendant laquelle il n'a même pas posé la moindre question. Il s'est senti expédié comme une lettre à la poste, comme une signature apposée machinalement au bas d'un document, putain de médecine qui regarde un foie de près mais son propriétaire de travers, putain de monde qui le laissait seul avec ce poids écrasant sur le coeur, sur les tripes, ce poids qui l'assomait littéralement et l'empêchait d'avancer.

Il était où ce toubib qui avait disparu dans les méandres des sous-sols de l'hôpital ? Il était où ?

1 commentaire:

Dnadryad a dit…

On te lit comme on lirait une nouvelle à suspense, mais bon sang, la fin de l'épisode laisse un goût lus qu'amer...