lundi 16 novembre 2009

Bye bye Gisela

Elle était restée cloîtrée chez elle alors que la foule arpentait les rues depuis 2 jours maintenant. Elle avait opté pour la télévision, d'où elle suivait, minute après minute, tous les programmes, dans toutes les langues, qui commentaient l'événement.

Pourtant, il était enfin arrivé ce jour béni qu'elle avait tant rêvé. Mais le mur qu'elle avait construit autour de son coeur était bien plus solide que celui qui avait brisé son adolescence, et il faudrait bien plus que quelques coups de pioche pour en venir à bout.

Elle avait laissé "de l'autre côté" un garçon à peine plus âgé qu'elle à l'heure des amours adolescentes qui ont le goût de l'absolu et des toujours, ou des jamais. Et ce fut brutalement jamais qui l'emporta, lorsqu'un paternel, de sa voix autoritaire et d'un regard qui ne laissa aucun doute quant à ses intentions, interdit toute tentative de communication entre ces deux-là.

Jour après jour, elle s'était emmurée, et le son de sa voix se fit si rare qu'on avait oublié qu'elle avait tendance à naziller, surtout l'été. Pourtant, personne ne s'inquiéta vraiment, elle maniait 4 langues étrangères avec une facilité déconcertante, et finit même par faire de ce don son métier.

Ce qu'elle avait caché pendant toutes ces années de captivité, c'est l'aversion qu'elle avait ressenti, presque instantanément, pour son pays, et pour sa langue. Surtout sa langue. Alors, elle s'était mise à en chercher une autre, et elle s'était surprise à penser en langue étrangère. 

Alors quand la presse avait titré en gras "la chute du mur", elle avait vendu le peu qu'elle possédait et avait pris congé, comme une étrangère qui enfin, pouvait rentrer chez elle. Elle avait logé un mois à l'hôtel, non loin de là où elle habitait et avait décidé de son avenir, elle qui s'était battue contre tous et contre elle-même pour ne pas se créer d'attache.

Elle avait atterri à Bruxelles où elle avait rapidement trouvé du travail. Jamais elle n'avait essayé de recontacter celui qui avait fait chavirer son coeur de jeune fille, l'imaginant marié et père de famille, heureux et serein, alors qu'elle se sentait encore étourdie de cette nouvelle vie qu'elle s'était aménagée.

Ses nouveaux amis la connaissaient peu, elle parlait parfois de ses voyages qu'elle avait menés "de l'intérieur", plongée dans des manuscrits de bibliothèque, et écoutait surtout les autres parler. Elle était fascinée par les accents divers de son pays d'adoption et s'entraînait à tous les imiter. Elle voulait qu'on ne puisse identifier ses racines, et avait francisé son prénom, même s'il semblait un peu passé de mode. Elle s'arrangeait pour que le "a" final de son prénom soit mal écrit et qu'on puisse facilement le confondre avec un "e", et s'était offert le droit de rajouter un accent grave sur le "e" avant le "l". 

Et quand on lui demandait d'où elle venait, elle donnait toujours le nom du quartier où elle avait élu domicile, comme si elle avait toujours fait partie des meubles. Si on insistait, elle répondait qu'elle était née dans un cimetière, histoire d'enterrer la discussion une fois pour toutes.

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