Certes, je n'ai pas 25 ans d'expérience professionnelle, ni dans ma fonction atuelle, ni dans la précédente, ni même si je les cumule toutes. Mais je m'approche doucement de la première décennie. J'ai goûté aux joies et au stress du privé, aux joies et aux procédures du public.
Dans le privé, l'arrivée d'un nouveau chef est souvent signe de révolution, tout le monde scrute son visage en se demandant à quelle sauce on va être mangé, et si son arrivée est synonyme de changement d'équipe. Une fois les principales craintes passées, il faut se rendre à l'évidence : tout ce qui a été fait avant son arrivée est "à chier", ce qui fonctionnait très bien le lundi est à proscrire le mardi. On se dirigeait à droite, on change de cap, on repart à gauche. On achetait au Brésil, ce sera Madagascar. Point barre. Le chef a ses raisons, ses objectifs, ses stock options en jeu. Y'aura plus qu'à attendre sa mutation et son successeur.
Dans le public, les choses sont sensiblement les mêmes, mais il y a un facteur considérable en plus : le système. Un truc énorme, bien lourd, rempli d'incohérences et d'exceptions, rempli de bonnes et de mauvaises volontés.
Lorsqu'un nouveau chef débarque, on le connaît depuis plusieurs mois. Parce qu'en général, on devine déjà qui va être chef avant même que le prédécesseur annonce son départ. A croire que les choses s'inscrivent d'elles-mêmes.
Le nouveau chef, comme dans le privé, se doit d'ajouter sa touche personnelle, histoire de marquer son passage dans l'institution, de graver son nom sur le "walk of fame" du système. Seulement, lorsqu'il annonce les changements, il n'a, en général, pas encore les moyens de les faire, mais au moins, on est prévenu des intentions de changement, et c'est vachement rassurant. Lorsqu'un an plus tard, on voit débarquer de nouvelles choses, on se regarde entre collègues et on se demande ce qui nous arrive, là. Ce sont en fait les fameux changements dont on avait parlé, mais si, tu ne te souviens pas ? Faut juste que le chef lui-même s'en souvienne, de ses nouveaux plans.
Entre temps, les changements sont passés entre les mains des syndicats qui ont tout renégocié, et les changements du chef ne sont plus vraiment d'actualité. Une année passe et les projets prennent forme, les signatures sont apposées aux bons endroits, les sous sont débloqués, les moyens arrivent peu à peu. On commence à s'organiser, on prépare, on bosse finalement beaucoup ... jusqu'à l'annonce de l'arrivée d'un nouveau chef, parce que l'actuel a pris du grade, grâce à sa super proposition dont personne n'aura jamais vu la couleur. Et le prochain, lui, préfèrera notre ancien système.
Pour survivre au système, il n'y a pas 36 000 solutions : il faut réinventer, sans cesse, les projets, histoire de coller à droite, à gauche, en bas, en haut, et surtout, surtout, ne pas stresser lorsqu'on nous annonce la venue d'un nouveau chef.
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