lundi 14 janvier 2008

Elle, c'est moi...

Sans faire de bruit, j’ai poussé un peu la porte.

Dans l’entrebâillement, je l’ai vue, cette femme, assise de dos sur ce fauteuil d’hôpital. Elle l’avait tourné le dos à la porte d’entrée, et avait fermé les rideaux, elle semblait chercher un coin d’intimité. Son bébé dormait paisiblement dans son petit berceau en plastique, il était tout petit.

Elle avait branché un tire-lait électrique, une machine qui faisait un bruit infernal, à double extraction était-il indiqué sur la boîte de rangement. Elle ne cessait de regarder son bébé, elle pleurait en silence, tant la douleur laissée par l’intervention chirurgicale était encore présente. Elle pleurait en silence parce qu’elle aurait voulu être juste ailleurs, elle pleurait en silence parce qu’elle souhaitait une autre naissance, elle pleurait en silence sa rage et son besoin d’avoir ce petit être de 2.8 kg tout contre elle.

Les menaces de lui retirer son enfant pour le placer sous surveillance loin d’elle, pour le gaver et détruire la confiance de sa mère de pouvoir subvenir seule à ses besoins ont eu raison de tout le reste. Alors que l’on fêtait la joie de l’arrivée un peu plus tôt que prévu d’une nouvelle petite fille, cette maman peinait pour ramasser un à un les morceaux de son cœur éparpillés dans cet hôpital, où peu d’oreilles avaient bien voulu comprendre son seul et unique désir d’être auprès de sa fille et de la nourrir.

Il y a des mères pour qui allaiter est d’une simplicité étonnante. Elles ne souffrent pas, et à peine ont-elles vu leur bébé que tout naturellement, les choses se font, sans douleur, sans mal, sans questionnement. Une simple réponse à un besoin primaire de leur enfant.
Pour cette maman-là, les choses n’étaient pas aussi simples. Un tas de facteurs ont fait que les choses ont pris un peu plus de temps que la sacro sainte norme le prévoit, norme établie par des fans de procédures, de dessins carrés et avides de pressions en tous genres.

Cette épreuve toute banale dans la vie d’une maman a marqué cette histoire entre elle et son bébé. Le lien spécial qui les a unis dans l’épreuve de l’allaitement s’est inscrit dans leurs cœurs, dans leurs corps, dans leurs mémoires.

Presque 18 mois plus tard, le bébé qui dormait si paisiblement dans son petit berceau à la maternité devient peu à peu une petite fille, qui a soif de vouloir faire les choses par elle-même, qui a envie d’affirmer son caractère de plus en plus, qui commence à dire des mots et qui se fait drôlement bien comprendre.

Cette maman qui pleurait de rage il y a presque 18 mois, à tirer quelques millilitres de lait pour gaver elle-même sa fille trop fatiguée pour téter, à l’abri des regards du personnel soignant, pour la garder à ses côtés, a pansé ses plaies et préfère vivre les yeux tournés vers demain. L’indépendance et l’assurance que prend sa petite fille la laisse songeuse et elle aimerait bien, peu à peu, reprendre sa vie, reprendre possession de son corps.

Evidemment, elle voudrait préserver ce lien, cet échange de regards lors des tétées, ce contact des petites mains sous son bras, cette quiétude et cet apaisement quasi magiques, elle aimerait que sa petite fille se détache, naturellement, comme l’est l’acte en lui-même, mais doucement, peu à peu, dans un apprentissage commun vers un autre lien, sans le sein.

Elle voudrait tout, cette mère. Parce qu'elle vit avec l'intime conviction de n'avoir pas accouché, amputée d'une expérience de femme, elle aimerait tant réussir la fin de cet allaitement. Elle aimerait bien défaire et non rompre, délier ici pour relier là, elle aimerait bien voir sa petite coopérer.

Bien sûr, rien ne presse.
Hier, elle pleurait pour réussir.
Demain sans doute, je regarderai cette femme dans l'entrabâillement de la porte avec un regard empreint de nostalgie.
Aujourd'hui, en attendant l'écriture d'une nouvelle page, elle aurait juste besoin d'un peu se retrouver.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Quelle souffrance cela a dû être...je ne peut pas me mettre à ta place n'ayant pas connu celà et n'ayant pas allaité mais je me pose les même questions sur le lien et la détâchement nécessaire... bisous

Anonyme a dit…

Ma belle,
je crois me lire dans tes mots, et je reconnais cette souffrance....
peut être parceque les débuts ont été difficiles l'attention a été plus marquée???...
Je te souhaite de pouvoir regarder en arrière sans larme. Et nous ne sommes pas seuls artisans de l'attachement ou du détachement.... c'est souvent bébé qui décide, il faut juste l'écouter.
Gros bisous.

philippine a dit…

La souffrance appartient à celui qui la porte, et nulle échelle de souffrances existe ... Je peux ressentir ton désarroi, ta colère presque de ne pas avoir connu la voie basse, de ne pas avoir vécu du fond de tes tripes le passage. Mais sache que tu as bien récupéré ce manque par l'attention et l'Amour Grand comme ça que tu prodigues sans limites à tes superbes filles. C'est cela qui doit l'emporter, cette puissance et ce lien qui vous unit!
Et oui ... de l'avant, nous n'avons pas le choix, ... pour le bien de nos petits !!
Courage, phil

Dnadryad a dit…

Un gros câlin...