Elle avait peu parlé, avait fait les mêmes gestes qu'elle faisait depuis 25 ans, telle une automate, sauf qu'elle les avait faits en silence. Et en reniflant un peu. Elle pensait chaque geste, elle pensait à le faire bien, elle ne souhaitait pas être contrariée, elle ne voulait pas se mettre en retard, elle voulait qu'ils quittent tous la maison, elle avait besoin de se retrouver seule.
8h20 enfin. Son mari a dû comprendre son trouble et s'est proposé de déposer la petite en classe. La grande est partie travailler, en retard, comme tous les jours. Et puis, c'est tout.
Aujourd'hui, elle avait décidé d'ouvrir la porte de sa chambre, ce qu'elle n'avait pas réussi à faire depuis cette nuit où le téléphone avait sonné, avait déchiré son sommeil à tout jamais. Elle n'était jamais conviée dans son espace, elle savait qu'elle devait respecter certaines règles, parce qu'on n'entre pas dans la chambre de son fils de 20 ans passés comme dans une pièce remplie de princesses et de nounours encore tièdes d'avoir été serrés dans les bras puis oubliés dans une couette.
Mais il n'était plus là pour lui dire de sortir, ou de revenir plus tard. Il n'était plus là, les volets étaient restés ouverts, signe qu'il n'était pas rentré. Et elle, pour une fois, n'avait pas le coeur à pester contre le bordel ambiant qui régnait dans cette chambre depuis des lustres.
Sa main sur la poignée de la porte tremblait. Elle respira un grand coup et renifla une énième fois. Sa voisine, une amie, et d'autres encore lui avaient proposé leur aide, mais elle n'en avait pas voulu. Elle tenait à s'en occuper seule. Rassembler les affaires de ce fils absent, ne pas faire de cette chambre un mortuaire, ranger, toucher, sentir...
Elle y tenait tant mais se demandait si elle y arriverait. Tant d'images lui brouillaient la vue, celles de la chute, de la peur, des centaines de personnes, des amis, des anonymes aussi, venues lui dire au revoir, puis la solitude intérieure et la vie qui continue avec non plus 3, mais 2 enfants.
Finalement, elle l'avait à peine frôlée que la porte s'ouvrit, comme si une force invisible l'avait aidée. Elle se retrouva dans la chambre et ne savait où poser son regard. Elle cherchait juste un endroit pour se réfugier, tant elle se sentait paralysée au milieu du quotidien de celui qu'elle avait mis au monde.
Elle ramassa une chaussette et un t-shirt qui gisaient au sol et voulut les déposer sur le lit défait, mais juste avant elle eut besoin de sentir ce linge porté. La violence des sens provoqua un nouveau déchirement tant elle s'enivrait de son odeur, de son parfum, tant elle eut l'impression qu'il était tout près d'elle, tant elle eut conscience que ce moment n'allait pas durer, que bientôt son nez allait s'habituer et que l'illusion allait s'évaporer.
Alors, au lieu de ranger, au lieu de penser à rassembler ses affaires, elle se coucha dans son lit et noya sa douleur de mère amputée de sa chair dans l'oreiller défraichi. Elle finit par s'endormir dans ce bain de larmes, et s'évada dans le passé, dans des souvenirs de vacances où le petit garçon riait du matin au soir, où le grand frère protégeait ses petites soeurs, et où jamais on avait pensé toucher la douleur de si près.
5 commentaires:
Le pire...
Outch...
Oui, c'est bien le pire qui puisse arriver à des parents, et c'est la seule chose que je demanderais à la vie : ne jamais survivre à mes enfants.
Ce texte résonne beaucoup en moi, après une hécatombe de vingtenaires dans mon entourage ces derniers mois : familles brisées, visages de mère figés dans la terreur, j'ai vu tout ça de mes yeux et tous les mots paraissent si futiles, si superflus...
Et elle va découvrir encore le poids des "anniversaires", la brûlure des endroits souvenirs et les immanquables "il faut bien que la vie continue"....
...à hurler...
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