mardi 9 mars 2010

Après les barreaux

Quand il est entré dans mon bureau, j'ai été surprise. Je lui avais parlé au téléphone, et de sa voix était né un visage imaginaire, plutôt anodin d'ailleurs, et un âge, plutôt jeune. Il n'en était rien. Le jeune homme avoisinait les 33 ans, et non les 20 imaginés, et son visage m'a déconcertée tellement il était singulier : très allongé, très fin, des immenses oreilles et un long nez, des pommettes saillantes, une calvitie naissante.

Il venait de sortir de prison, et j'étais tenue de faire le lien entre son passé et son avenir, en lui remettant symboliquement en mains propres les clés de sa formation, lui rappelant les règles du jeu et les pièges des mauvaises fréquentations.

Ce n'était pas un caïd, il n'avait pas de colère ni de révolte. Il avait commis une très grosse erreur et s'était accommodé de sa peine, comprenant qu'il payerait sans doute bien au-delà de l'enfermement duquel il venait de sortir.

Cet homme était stressé, terriblement stressé, comme si la liberté après seulement 28 mois de prison le faisait mal respirer, comme si l'extérieur l'agressait, comme si le poids des responsabilités allait le faire tomber.

Il me parlait comme je l'imaginais parler au juge, à son avocat, au directeur de la prison, au surveillant pénitentiaire. Il baissait les yeux et acquiesçait machinalement, en murmurant des "bien sûr" à peine audibles. Il m'écoutait docilement, et ne m'interrompait que lorsque mes propos allaient à l'encontre des obligations judiciaires dont il faisait encore l'objet.

Tout son corps était raide, tant et si bien qu'au bout de quelques jours de formation, il a réintégré mon bureau, parce qu'il n'était pas sûr qu'il puisse envisager une carrière de plafonneur avec une épaule, un dos, un bras et des jambes crispés à ce point.

Sa fille. Elle a bientôt 4 ans et il ne la connaît presque pas. Il culpabilise de priver ses parents de leur rôle de grands-parents, il s'en veut d'avoir dérapé, lui qui a toujours eu une famille autour de lui, il voudrait tant réparer, mais gère mal les remords.

Il y en a des jeunes, et des moins jeunes, à la dérive autour de moi. Quelques uns, des écorchés, qu'ils respirent mal sous le poids de la culpabilité, ou sous celui de la solitude me confortent dans mon rôle, mais surtout dans mon être, et dans l'idée qu'il est nécessaire, tant au point de vue humain, qu'au niveau pédagogique et relationnel de s'arrêter avec eux et de respirer, ensemble, autour d'un vrai projet de vie.

4 commentaires:

Dnadryad a dit…

Waow, c'est fort comme récit...

Carole a dit…

oui en effet, un récit percutant... la vraie vie...

Anonyme a dit…

très beau, très vrai...

Marianne

Unknown a dit…

et on se sent facilement désarmé face à eux...