Le téléphone avait sonné en pleine nuit, les sortant d'un sommeil profond. Ils ne s'étaient ni parlé, ni regardé, mais tous deux savaient que l'instant était grave. La voix les informa qu'on les attendait dans un hôpital à une centaine de kilomètres de chez eux.
Le médecin les attendait. Avant de les mener au chevet de leur fille, il voulait leur expliquer son état, mais ils n'écoutaient pas, surtout elle. Elle tremblait et ne semblait pas comprendre la portée des mots du médecin. Tout se mêlait dans sa tête et ses oreilles se mettaient à bourdonner.
Elle semblait si paisible dans ce lit. Une grosse machine, un tuyau dans la gorge indiquaient qu'il se passait quelque chose d'important, mais son visage était détendu, comme si elle s'était endormie quelques heures auparavant.
Elle s'approcha de sa fille et lui caressa les cheveux, colla sa joue remplie de larmes contre ce visage tant aimé, tant de fois consolé, si connu, si doux, si beau, si jeune. Elle noya ses mains dans la chevelure noire de son enfant devenu grand, et à l'instant redevenu son bébé. Une déchirure profonde lui retournait le ventre, comme si une force invisible lui arrachait ses entrailles.
Ce visage blême, ces cheveux noirs, ces lèvres rouges.
Blanche-Neige avait croqué la pomme empoisonnée offerte par sa belle-mère déguisée en vieille femme et s'était effondrée dans la forêt. Les nains la retrouvèrent inanimée, et la veillèrent, des jours durant, à tour de rôle, jusqu'à ce jour miraculeux où un Prince, subjugué par tant de beauté, déposa un délicat baiser sur les lèvres de la jeune femme endormie, qui eut pour effet de la réveiller. L'image de la fin étant ce Prince qui emmène sa promise, la portant délicatement dans ses bras.
Elle la couvrit de baisers, tant elle refusait d'imaginer qu'elle ne puisse pas ouvrir les yeux. Elle posa sa tête sur la poitrine de sa fille et se jura d'attendre qu'elle se réveille. Les spasmes causés par ce sanglot long et douloureux la transportaient dans un autre lieu, elle se voyait courir dans la forêt, à la recherche des nains, du Prince, et de cette femme qu'elle aurait étranglée de ses mains.
Lui était resté près de la porte, muet de peur, de chagrin. Le médecin avait commencé à parler de cette machine qui donnait l'illusion du sommeil, qui cachait la mort. Son cerveau était déjà mort, lui, plus personne ne s'en occupe à présent.
Il regardait ces parents que la vie venait de briser d'un coup d'épée, de sabre, de feu, de téléphone. Il aurait aimé les laisser seuls, leur laisser le temps d'apprivoiser la terrible nouvelle mais un autre combat allait naître, aussi puissant, aussi terrible que celui-ci qui prenait fin.
Il avait compris ce père aimant, il s'approcha de sa femme et la prit par les épaules, la prit dans ses bras et la serra aussi fort que possible. Il voulait qu'elle ne puisse pas s'échapper, qu'elle reste droite et attentive tant ce qu'il avait à lui dire allait la transpercer de douleur.
C'est fini. Mais … les mots restaient en suspens, accrochés dans sa gorge si nouée qu'elle semblait se paralyser. C'est terminé, mais tu te souviens de cette discussion que nous avons maintes fois eue sur le don d'organes ?
Il la serra fort, car il sentait ses jambes se dérober, il sentait qu'elle allait tomber. Comment penser un instant que cet être d'amour, que cet enfant qu'elle avait porté et qui gisait là, si paisible, sans aucune égratignure, sans aucune trace apparente d'un quelconque traumatisme, allait être ouverte, puis recousue négligemment.
Pourtant, ils étaient sur la même longueur d'ondes. Tous deux avaient leur carte de donneur dans leur portefeuille. Mais à ce moment précis, il ne la sentait pas capable de dire oui, de sauver d'autres vies. Mais le temps passait, ce précieux allié dans la bataille pour la vie d'autres inconnus.
Il lui a murmuré à l'oreille les mots qu'elle-même avait prononcés à ce sujet, ce discours qui le rendait fier, cette force qu'elle avait en elle. Il lui a rappelé et l'a menée, lentement, vers les documents à signer. Elle apposa une signature approximative, sa main tremblait trop, ses yeux remplis de larmes l'empêchaient d'y voir clair.
Aucun nain ne viendrait la veiller, aucun prince ne viendrait la réveiller. On venait de lui prendre sa fille et toute possibilité d'espoir, on venait déjà la chercher, et c'en était trop.
Mais à quelques centaines de kilomètres de là, un coup de téléphone, en pleine nuit, venait annoncer la promesse d'une vie nouvelle, meilleure, une vie normale, après des années de souffrance. Des milliers de mercis venaient alors de s'envoler vers ces parents inconnus, qui allaient atténuer la peine ressentie par ce déchirement bien trop brutal. Des milliers de mercis allaient faire apparaître le soleil qui viendrait sécher les larmes et graver la vie dans leurs cœurs.
5 commentaires:
en parler encore et encore, en famille, quand tout va bien, pour que si un jour, le destin nous prend à froid, la décision remonte sans crainte au bord de nos lèvres.
Et si un jour, nous nous trouvons de l'autre côté à attendre ce terrible coup de fil porteur d'espoir ......
merci Cendrillon, pour toutes ces émotions que tu partages avec nous.
Papsy
Je n'ose imaginer un jour comme ça où face à mon enfant je devrais prendre la décision de lui retirer un organe pour un don. L'autopsie de mon premier enfant a fait de moi une maman détruite et l'idée même de pratiquer une quelconque incision dans le corps d'un de ses frères ou soeurs m'est ... insupportable à concevoir, ... même pour en sauver un autre, c'est tellement éprouvant à vivre.
Est-ce de l'égoïsme pour autant?
Je ne sais pas.
phil
Très émouvant ce récit et importante question... impossible de dire ce que je ferais en pareille situation... j'admire ces parents...
Nous, nous avons notre carte de donneur d'organes. Et nous l'avons fait savoir à notre famille proche. C'est vrai que dans des moments pareils, le choix doit être insupportable.
...et oui bien sûr...mais ouf...que ça n'arrive pas...
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